mercredi 17 octobre 2012

Yoko Ogawa, une littérature du silence



As-tu déjà lu un roman ou un recueil de nouvelles de Yôko Ogawa, ô lecteur littératurophile ?
J'ai découvert Yôko Ogawa lorsque j'étais au lycée et que, au petit bonheur la chance, je déambulais dans les allées (dénuées de poussière) de la médiathèque municipale Blaise Cendras de Conflans-Ste-Honorine (un lieu intelligent situé à deux minutes du lycée et qui proposait notamment des salles d'études réservées aux étudiants de tous âges, équipées de matériels informatiques).
J'avais alors décidé de lire au hasard de nouveaux auteurs, en suivant l'ordre alphabétique des fameuses étagères 900 et quelques... Mon petit doigt hasardeux s'est alors hasardé sur une magnifique couverture des éditions Babel (Actes Sud). Double découverte d'alors : je ne connaissais ni la littérature japonaise, ni les éditions Actes Sud.
Je m'emparai alors de tous les romans de Mme Ogawa qui étaient disponibles (Parfum de Glace, le Musée du Silence, La petite pièce hexagonale) et me délectai de cette découverte.

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Je ne l'ai jamais regretté depuis.
Mon seul regret a été la non-présence de Mme Ogawa au Salon du Livre dédié au Japon, alors que le public français répond largement présent en ce qui concerne la lecture de son oeuvre. Enfin...

Un petit mot sur le travail exceptionnel de la traductrice attitrée de Yôko Ogawa pour les éditions Actes Sud : Rose-Marie Makino-Fayolle.

L'écriture de Yôko Ogawa est épurée, à la fois riche et pauvre en détails, rapide et long, oppressant et relaxant. Il me semble encore plus qu'avec aucun autre auteur que ses romans s'adaptent à leur lecteur : la vitesse de lecture qui peut différer d'un instant du jour à un autre offre une palette très complète d'interprétation de telle ou telle description. C'est si beau de lire à son rythme.

Les personnages de papier sont révélés à travers leurs gestes et leurs dialogues, la focalisation interne est toujours sous le joug d'une narratrice (je n'ai, jusqu'alors exception faite du Musée du Silence, jamais lu ni roman ni nouvelle de Mme Ogawa dans le/laquel/lle le narrateur soit un mâle), que cela soit à la première ou à la troisième personne du singulier.

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D'absurde, point. De poésie, tellement.
D'une page à l'autre, les objets présents dans l'univers de Mme Ogawa s'éclairent, refroidissent ou passionnent le récit. Je pense que c'est encore plus le cas dans l'un de ses cinq derniers romans, La marche de Mina, ou encore Cristallisation secrète.

* * *
 
Comme c'est beau, la littérature de Yôko Ogawa.
Comme c'est juste, puissant, discret, géométrique, dissymétrique, poétique.
Comme des gouttes de couleurs éparses sur une feuille de buvard.
Comme des cris au loin un matin de brume.
Comme le crissement du verre sur lequel on marche.
Comme le sifflement d'un ruisseau qui au loin s'écoule.

* * *

Je te propose, petit lecteur curieux, de lire l'article du 03 mars 2012 de l'ExpressCulture sur la nouvelle génération de romancière japonaise, dont je te propose l'extrait suivant : 

"Visage de cire, sourire figé, teint blafard, Yôko Ogawa est, à 50 ans, la romancière la plus troublante des lettres japonaises. Il faut se méfier de sa prose lisse et limpide, presque durassienne, car c'est l'enfer qui s'y dissimule, avec son cortège d'égarements et de perversions. Sa devise ? Elle l'emprunte à son maître Kawabata : "Il est plus facile d'entrer dans le monde des démons que dans celui des choses réelles." Son oeuvre ? Une quinzaine de romans inclassables, qui exhibent les fantasmes de la chair et la perdition des âmes avec une précision hyperréaliste, quasi fétichiste. Sur le théâtre de la cruauté nipponne, Yôko Ogawa met en scène une société sans repères, sans utopies, où le taux de suicide est l'un des plus élevés du monde. Et si elle écrit, c'est pour déposer quelques flocons d'absolu sur cette noirceur morbide qui obstrue tragiquement l'horizon de son époque. "La lumière du silence illumine les mots", dit-elle, comme si l'écriture était une prière balbutiée dans un monde privé de transcendance. 

Décrits par une voix monocorde, les personnages de Yôko Ogawa sont toujours saisis au moment où quelque chose se casse en eux. Elle est la calligraphe des fêlures muettes, des brèches physiques et mentales, des dérèglements des sens. Avec cette explication : "Je souhaite révéler à travers mes récits la face cachée de l'homme, la faiblesse et la sauvagerie qui sont en chacun de nous. Je n'ai jamais considéré qu'il existait une morale : le beau et le laid, le bien et le mal, le blanc et le noir ne s'opposent pas, ils se côtoient, s'emmêlent de façon très équivoque. Je m'intéresse à la limite vaine qui est censée les séparer." 

Traduite chez Actes Sud par Rose-Marie Makino-Fayolle, Yôko Ogawa s'est fait connaître en France avec La Piscine, récit d'un enfermement entre les murs d'un orphelinat, et avec Hôtel Iris, un conte cruel où l'on voit une adolescente descendre dans la géhenne sadomasochiste face à un vieillard qui la brutalise et la contraint aux pires déviances sexuelles. Mais autant l'univers de la Japonaise semble détraqué, autant son écriture reste froide et impassible, comme un bloc de glace posé sur un volcan de violences et de folies. Autre obsession, sous la plume de Yôko Ogawa : le monde de la maladie et du handicap, la surdité dans Amours en marge, l'aphasie dans La Mer, la confrontation avec la mort dans Le Musée du silence et dans Une parfaite chambre de malade

Et avec La Petite Pièce hexagonale, nous replongeons dans cette "inquiétante étrangeté" qui teinte d'effroi tous les récits de Yôko Ogawa : sa narratrice s'accroche à une silhouette fantomatique - une vieille femme rencontrée dans le hall d'une piscine - et elle la suit comme un automate, sans raison, sans but, sans espoir... D'un livre à l'autre, Yôko Ogawa déroute ses lecteurs jusqu'au vertige. En leur offrant sa musique si singulière, une mélodie funeste, obsédante, très japonaise dans sa sobriété meurtrière."





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